Hors des bruits et des fureurs, dans l’espace secret de son silence, Jean-Michel François tresse, trame, sculpte un monde qui ne doit rien aux images convenues de notre quotidien. Artiste plasticien de l’ombre, miniaturiste du rêve, il nous confie, comme par contrainte, un arsenal d’accessoires dont l’étrangeté n’a d’égal que la force. Pièces de fonte lourdes de leur matière abrupte, volumes robustes usinés dans le creuset de sa patience, sidérurgie personnelle coulée au fourneau de la passion et du travail. Car il y a du labeur au sens noble du terme, dans chacun de ses tableaux consciencieusement ouvragés. On devine une application têtue dans ces crayonnés serrés qui zèbrent, hachurent la surface du papier d’empreintes, d’épidermes, de rugosités métalliques, de porosités ferrugineuses. Il y à une sorte de courage ouvrier à exhumer, par la seule magie de crayons aux sourdes couleurs, ces objets sans âge ni patrie à la fois réalistes et irréels. Il y a de l’illusionniste à sortir des tréfonds de l’esprit ces coffres-forts blindés de mystère. Il y a de la fierté à les planter dans leur solitude hautaine sur le socle de leur scène.

Un seul objet suffit à occuper l’espace du tableau, grâce à sa monumentalité, son énergie interne, sa forme puissante. Dans ses dernières créations, Jean-Michel François – chez qui nous avions mesuré la cohérence de l’évolution-s’achemine vers des formes plus souples à référence de sphères, de coupoles, de ballons dirigeables. Sont-ce leurs lignes courbes, leurs volumes tendus, leur apesanteur ? Leur charge émotionnelle en est plus grande encore. La parfaite adéquation entre les moyens techniques simples (papier, crayon) et le propos plastique témoigne, chez cet artiste-poète, d’une profonde méditation sur le Réel et ses mystères. Sans cesse, il cache et dévoile, joue avec un humour subtil des dualités d’ombre et de lumière, d’abstraction et de figuration, de fonctionnalité et de gratuité, d’élan et d’inertie. Art exigeant pour celui qui le conçoit comme pour celui qui le regarde. L’un et l’autre n’en a que plus de joie à découvrir, derrière l’apparence des choses, la richesse des non-dits, à entendre vibrer Les voix du silence.

Louis Richardeau
in « Sources — revue de la Maison de la Poésie — Namur »
1994
Actes du colloque « Poésie et oralité : du silence à la parole (mars 1995) éd. Maison de la Poésie, Namur, 1996.