Dans le retrait et la discrétion, Jean-Michel François œuvre dans une cohérence et une fidélité à lui-même exemplaires. Il compte parmi les rares artistes de notre temps qui, peu soucieux de la nouveauté (car il sait avec pertinence qu’elle s’use et s’épuise souvent à l’épreuve du temps), a misé sur la permanence, la patience dans le faire et, essentiellement, dans l’approfondissement de motifs chaque fois différents, à chaque fois parents et relevant du même processus créatif. Franchement figurative si l’on s’en tient aux apparences des architectures décelables dans le clair-obscur méticuleusement calculé, chaque peinture, aussi sobre que sombre, nocturne et comme baignée d’une clarté lunaire, est en fait une abstraction formelle tant l’énigme de la chose vue reste et demeure totale. Aucun détail ne permet une identification certaine, ce qui place d’emblée ces peintures hors du temps, appartenant à un monde inconnu pourtant proche du nôtre. Un monde auquel on n’a pas accès, un monde d’illusions. Celui de la seule peinture qui a le pouvoir extraordinaire de faire exister ce qu’elle veut. Créer prend ici tout son sens et, pourtant, l’existence de ces choses est incertaine, car elle se situe entre vie et mort, dans un no man’s land bien étrange qui ne révèle rien de lui-même, totalement énigmatique mais terriblement attirant, comme un piège vers lequel on est happé, intrigué et soucieux de partir à sa découverte, tout en sachant que le risque d’aller à sa perte y est inscrit. Le silence qui règne, la terrible beauté séductrice due à un remarquable accomplissement pictural et à une esthétique racée, noble, dirait-on dans le sens d’élévation, de distinction; l’attrait de l’inconnu, la curiosité d’un savoir qui nous échappe, tout cela, admirable, trace un chemin dont l’issue s’évanouit dans la nuit des temps. On sait que ces peintures proviennent de la peinture, mais jamais celle-ci ne révélera son mystère profond, qui ressemble à s’y méprendre à celui du destin des êtres et du monde. Très récemment, l’artiste namurois a entrepris la réalisation d’une série d’aquarelles, noire, exécutées sur des petits papiers, pur chiffon, ronds de 12 cm de diamètre. On y décèle peu de choses dans les effets de la fluidité. Des clartés lointaines et incertaines, peut-être des paysages davantage cosmiques que terrestres, des non-lieux, qu’il apparente aux filigranes qu’évoque Léo Ferré dans Technique de l’exil, où il note : » ..dans la lumière de soie de certaines estampes de Rembrandt, dan le lecteur illuminé de Redon, dans le premier état de la Notre-Dame de Meryon, il passe un peu du mystère du jour fabriqué avec du noir(…). Ceux-là, on ne les montre pas trop dans les musées : ils font peur. Ils ressemblent à des filigranes. »
Claude Lorent
in 1830/2020 : Arts Plastiques en Province de Namur
Luc Pire éditions/ le Delta Province de Namur – 2019